Taedium Vitae

Taedium Vitae

vendredi 24 juillet 2015

Vous avez dit perspective?



«Le tempo de l'histoire de la vie s'est considérablement accéléré vers la fin. L'évolution procède come le Boléro de Maurice Ravel. Elle commence doucement et lentement avec les organismes unicellulaires, suivant une longue série de variations quasi imperceptibles sur un même thème qui ne cesse de nous hanter. Le tempo s'accélère au fur et à mesure que le temps passe, et l'explosion des formes du vivant à la période du cambrien est semblable à la variété des instruments qui font progressivement leur entré dans le morceau de Ravel. Mais l'unité de la vie est toujours présente, comme le thème sous-jacent du Boléro qui se fait constamment entendre. Jusqu'au crescendo et à l'apothéose, où tout les instruments jouent de concert dans un maelström de notes, comme le miracle de l'émergence de la pensée et de la conscience.
Cette accélération exponentielle  de l'histoire, nous pouvons mieux l'appréhender en imaginant un calendrier cosmique où les 14 milliards d'années de l'univers seraient comprimées en une seule année. Dans ce calendrier, chaque jour correspondrait à 38,4 millions de nos années (une année est le temps mis par la terre pour effectuer un périple complet autour du Soleil), chaque heure à 1,6 million de nos années, chaque minute à 26 667 de nos années, et chaque seconde à 444 de nos années. Le Big Bang aurait lieu le 1er janvier et l'époque actuelle correspondrait au 31 décembre, minuit. La grande fresque cosmique se déroulerait ainsi :
La voie lacté naitrait le 21 février, mais le système solaire avec son cortège de planètes ferait seulement son apparition le 3 septembre, donc après que les trois quarts de l'année se seraient écoulés. Les premières cellules de vie sur Terre entreraient en scène le 23 septembre, les micro-organismes inventeraient le sexe le 26 octobre, les organismes pluricellulaires verraient le jour le 14 novembre, et l'atmosphère de la Terre s'enrichirait en oxygène le 28 novembre.
Le développement du vivant surviendrait surtout dans la seconde moitié du dernier mois de l'année : l'explosion cambrienne, avec la grande prolifération des espèces, se produirait le 16 décembre, les trilobites prospéreraient le 17 décembre, les premiers poissons et vertébrés naîtraient le 18 décembre. Les armées vertes des plantes envahiraient les terres le 20 décembre. Le 21 décembre, les premiers insectes feraient leur apparition et coloniseraient à leur tour les terres. Ils seraient rejoints par les amphibiens le 22 décembre et par les reptiles le 23 décembre. Les dinosaures amorceraient leur domination sur Terre le 24 décembre, à la veille de Noël. Les premiers mammifères pointeraient le bout de leur museau le 26 décembre, et le chant des premiers oiseaux égaierait la Terre le 27 décembre. La Terre deviendrait une planète fleurie, mais un astéroïde assassin viendrait frapper le 28 décembre, provoquant une catastrophe globale et la sortie de scène des dinosaures. Nos cousins les plus proches, les primates, feraient leur entrée le 29 décembre. Le développement du cerveau et le passage du singe à l'humain se produiraient pendant les deux derniers jours de l'année, les 30 et 31 décembre.
Quant à l'espèce humaine, tout son développement se déroulerait au soir du 31 décembre. les premiers humains se mettraient à marcher à 21 h 49 mn. Avec son sens développé du symbolisme et de l'abstraction, l'Homo sapiens commencerait à créer et à innover. Les inventions se multiplieraient et se télescoperaient pour améliorer le bien-être matériel des humains, mais aussi pour transmettre le savoir et la connaissance, magnifier et illuminer l'esprit. Maintes choses se lasseraient dans la dernière minute de l'année. L'homme fabriquerait des outils en pierre à 23 h 59 mn 26 s et inventerait l'agriculture à 23 h 59 mn 37 s. L'astronomie verrait le jour à 23 h 59 mn 50 s, suivie de près par l'alphabet à 23 h 59 53 s et par la métallurgie du fer à 23 h 59 58 s. De grands hommes feraient leur apparition pour guider leurs semblables dans la vie spirituelle : Bouddha à 23 h 59 mn 55 s, le Christ à 23 h 59 56 s et Mahomet à 23 h 59 mn 57 s. La renaissance et l'avènement de la science expérimentale surviendraient dans la dernière seconde de l'année, à 23 h 59 59 s.»


Trinh Xuan Thuan dans Origines : La nostalgie des commencements

mardi 14 juillet 2015

Jean Rostand



Ainsi ai-je terminé ce livre d'aphorismes de Jean Rostand, Pensées d'un biologiste, commencé déjà depuis un bon moment et dont je ne savourerais la sève qu'à petites doses, comme livre de chevet avant de me coucher. Quelques extraits de cet homme de science qui avait tout aussi bien les qualités d'un grand moraliste comme Pascal ou Chamfort :


« L'homme peut se flatter d'être ce qui se fait de mieux dans l'atelier de l'inconnu.

C'est l'inerte qui l'emporte dans l'univers, et non le vivant. Mourir, c'est passer du côté du plus fort.

Comment réussir à prendre tout à fait au sérieux tout cela dont le sérieux ne dépend que de nous?

L'homme étouffe dans l'homme.

La seule chose dont je sois vraiment sûr, c'est que nous sommes de la même étoffe que les autres bêtes ; et si nous avons une âme immortelle, il faut qu'il y en ait une aussi dan les infusoires qui habitent le rectum des grenouilles.

Rien, c'est trop peu ; Dieu, ce serait trop.

L'homme est entrainé par son esprit à des souffrances qui sont bien au-dessus de sa condition.

Je ne crois pas au mystère, ce serait trop simple.

La vérité morte dès sa naissance, - comme tout ce qui vit.

On s'admire quelquefois par surprise dans un autre.

L'homme a devant l'univers toutes les exigences du fils unique.

La seule chose qu'on ne peut embellir sans qu'elle en périsse, c'est la vérité.

J'aurais le goût d'un style où l'on ne sentît ni la décision d'écrire ni le parti pris de ne pas écrire ; et ce que j'aime dans les réflexions détachées, c'est qu'elles peuvent ne relever d'aucun style.

J'aime trouver dans un livre de notes l'unité d'un esprit et le désordre d'un cerveau.

Dès que les pensées sont ordonnées, elles prennent l'air d'être moins sincères.

J'eusse aimé être de ceux qui, avec de toutes petites phrase, dégoûtent des longs développements.

Si nous donnons tant de prix à certaines évidences, c'est pour les avoir durement conquises.

Un grand écrivain est un homme qui sait nous surprendre en nous disant ce que nous savions depuis toujours.

Savoir la précarité de toute gloire humaine n'éteint pas chez l'ambitieux la soif de primer : il veut sa place parmi ceux qui font éclater le crime du néant.

La souffrance est certainement ce qui va le plus loin, mais vers où?

Sans mes souffrances, je ne me reconnaîtrais pas.

Sachons gré au tracas de la vie, ils nous divertissent de son horreur.

Il n'y a pas de bonheur intelligent.

Le plus affreux des coupables n'est pas moins innocent que l'univers.

La seule liberté que nous concède la vie, c'est de choisir nos remords.

Je ne m'intéresse, socialement, qu'à la valeur de quelques-uns et à la souffrance de tous.

Pour rester fidèle à soi-même, il faudrait renier son parti trois fois par jours.

L'éternel refrain de l'humanité : encore un petit massacre, et tout ira pour le mieux...

L'imagination a ses limites, c'est la réalité qui est inépuisable : on n'en a jamais fini avec un souvenir.

La vie, peu à peu, nous déloge de partout. »